Ma chère prairie,

Ma chère Prairie,

Tu n’es pas sans savoir que l’agglomération nantaise a de grands projets pour toi, et que tu en prends pour 40 ans ! Étanchéifier les sols de l’ancienne décharge qui gît sous tes pieds, rénover ta déchetterie vieillissante, accueillir une station d’épuration des eaux usées et pluviales, valoriser les déchets organiques, et surtout, surtout, doubler la capacité de ton « unité de valorisation énergétique »

Eh oui chère voisine, il n’y a plus d’incinérateur en France, il n’y a plus que des « Centre de traitement et de valorisation des déchets » (CTVD) incluant des « Unités de valorisation énergétique » (UVE). Ce qualificatif est attribué dès qu’un équipement a une performance énergétique supérieure à 65%. On aurait pu placer le seuil plus haut, mais 65 % tout le monde y arrive, alors c’est pratique !

Le sobriquet que Nantes Métropole a décidé d’attribuer à ce grand projet d’un coût total estimé à 360 millions d’euros fait déjà parler de lui. Le qualifier d’économie circulaire à la française (comprendre « on peut mieux faire, mais c’est déjà pas mal… ») aurait pu s’entendre. Mais ce n’est pas assez joli pour la vitrine nantaise… L’agglomération a préféré lui donner le doux nom de « Pôle d’écologie urbaine », disant ainsi contribuer à « l’accélération de la transition écologique » Que c’est beaauuu !

Et tout le monde s’en félicite. Les bases du projet ont été validées à l’unanimité en Conseil métropolitain le 16 décembre dernier. Et pour cause :

. On va produire de la chaleur à pas cher, pour chauffer les logements alentours

. On enlève une grosse épine du pied aux collectivités partenaires implantées sur 4 départements, qui ne savaient plus quoi faire de leurs ordures ménagères

. On va brûler les boues de la station d’épuration trop polluées pour être épandues dans des champs, et peut-être un jour récupérer ses eaux nettoyées pour traiter les fumées et les mâchefers

. On va valoriser massivement des déchets organiques…

. etc., etc.

Alors tout va bien !

Sauf que… je m’interroge.

Est-ce vraiment écologique de construire des fours calibrés pour brûler 270 000 tonnes de déchets par an jusqu’à 2060, au bas mot ?

Même si nos concitoyens réduisaient considérablement les volumes de leurs poubelles, l’industriel qui exploitera l’incinérateur (pardon… l’UVE), pourra commercialiser les capacités disponibles dans ses fours pour les rentabiliser en ajoutant les déchets d’activités économiques des entreprises qui ne manqueront pas de frapper à sa porte, tant les besoins sont énormes.

Est-ce vraiment écologique de considérer nos déchets comme une « énergie renouvelable » ? Formulé comme ça, ça n’incite pas trop à les réduire…

Est-ce vraiment écologique de faire rouler chaque jour des dizaines de camions venus des 4 coins de Loire-Atlantique, mais aussi du Morbihan, du Maine-et-Loire et de Vendée ? Et l’agglomération prévoit déjà que ce partenariat pourra être prolongé au-delà de la fin de contrat prévue en 2045, parce qu’apparemment c’est parti pour durer…

Est-ce vraiment écologique d’aller fouiller tes entrailles pour ancrer les fondations nécessaires aux équipements et libérer le méthane que tu renfermes ?

Quant aux pollutions induites par ce vaste projet, elles viendront s’ajouter pour une « part infime », dit-on, à celles déjà existantes.

C’est vrai que ce sont nos déchets qu’on brûle… Il faut bien en faire quelque chose ! Pourtant, tout le monde s’accorde à dire qu‘il faut dans l’ordre : d’abord prévenir en réduisant nos consommations, en réparant, en privilégiant le ré-emploi… puis valoriser la matière en recyclant, en compostant, etc. et en dernier recours opter pour la valorisation énergétique et l’enfouissement.

Alors comment t’expliques-tu qu’on n’a pas réussi à trouver les quelques dizaines de milliers d’euros qui auraient pu sauver la « Ressourcerie de l’île », quand on prévoit de consacrer 250 millions d’euros d’argent public à la construction de gros fours ? Vraiment, je m’interroge…

Valoriser plus de « biodéchets » via une nouvelle plate-forme, évidemment que c’est une belle idée. Mais il reste encore beaucoup, énormément à faire pour réduire le gaspillage alimentaire… Si celles et ceux qui rechignent à finir leurs croûtes de pizza ont bonne conscience en se disant qu’on va en faire du compost, ça n’aide pas… Sans compter que les normes qui contrôlent la qualité du compost sont de plus en plus contraignantes. Il faut s’en réjouir, car les champs fertilisés par ces épandages ont vocation à nous nourrir ! Personnellement je n’ai pas très envie de manger des micro-plastiques et autres cochonneries, quoi qu’en pense mon futur cancer…

Mais l’agglomération a encore une solution bien écologique pour respecter les normes relatives aux biodéchets : produire une « soupe méthanogène » avec nos restes alimentaires (miam !). Rassures-toi ou pas, chère Prairie, si méthanisation il y a, ce ne sera a priori pas sur ton territoire. Là encore, des camions achemineront la-dite soupe vers d’autres sites, proches ou lointains, l’histoire n’a pas encore tranché.

Enfin, après tout, c’est pas comme s’il y avait péril dans la demeure… On fera le bilan de tout ça en 2060, ou même plus tard, pour voir si l’accélération de la transition écologique aura été à la hauteur des enjeux.

Allez… prends soin de toi chère Prairie.

Affectueusement,

Ta proche voisine Clémentine